David Lynch | Club Silencio

Alors que le Club Silencio vient juste d’ouvrir ses portes à la presse, les premières photos du lieu commencent à apparaître sur le net. Je reproduis ici une interview de David Lynch réalisée par Paola Genone pour L’Express, dans laquelle le réalisateur et artiste multi-facettes américain revient sur la genèse du lieu :

Pourquoi avoir conçu un tel endroit ?

J’ai 65 ans… On dit souvent qu’à l’approche de la cinquantaine les hommes rêvent de construire des tours gigantesques pour prouver leur virilité. J’ai réalisé des films, composé des musiques, fabriqué des « objets » impalpables, des oeuvres avec un début et une fin. Aujourd’hui, j’ai besoin de créer quelque chose de solide… J’ai commencé par la peinture. Pour m’approcher davantage de la « matière », je travaille depuis trois ans dans un atelier de lithographie à Montparnasse et je dessine au doigt sur les pierres mêmes où ont peint Picasso et Miro. Puis je me suis lancé dans l’aventure du Silencio, qui m’a pris deux ans. Devant le résultat, je me sens presque immortel. [Rires.] En réalité, j’ai accepté de collaborer à ce projet pour une cause qui m’est très chère.

Laquelle ?

Cette envie de créer un lieu intime où toutes les disciplines se côtoient. Où cinéastes, plasticiens, photographes, musiciens, écrivains, couturiers et chefs cuisiniers auront l’occasion de se rencontrer, d’établir un dialogue non seulement entre eux, mais aussi avec un public réunissant tous les âges.

Alors pourquoi ce nom : Silencio ?

C’est une référence au théâtre Silencio Club, l’un des décors de mon film Mulholland Drive… J’ai l’impression d’avoir fait jaillir de l’écran les décors, les lumières, les personnages de mes propres longs-métrages. Et même les sons de mes disques. Maintenant que le Silencio existe, je ne suis plus ce réalisateur qui contrôle l’action, ce marionnettiste qui tire les ficelles, ce musicien qui maîtrise les sons. Tout m’échappe, je lâche prise et je vis cela à la fois avec soulagement et avec une légère angoisse…

Y a-t-il des endroits qui se rapprochent du concept d' »art total » mis en valeur par le Silencio ?

J’ai pensé à des lieux chargés d’histoire comme le Cabaret Voltaire, à Zurich, où se réunissaient les dadaïstes, aux cercles littéraires parisiens du xviiie siècle ou à la Factory d’Andy Warhol. Mais aucun n’a rassemblé autant de disciplines. Et, au Silencio, il n’y aura pas de gourou à la Warhol. L’idée de départ est d’inviter des artistes célèbres à programmer des cycles thématiques, mais aussi de révéler des créateurs. D’assister à des lectures, des performances, des signatures, des concerts, des expositions d’art… De voir des films de toutes sortes : des classiques aux avant-premières, des documentaires aux rétrospectives…

Le décor du club est sophistiqué et chaleureux… On doit s’y sentir comme dans une matrice, en attente d’une naissance imminente. Le lieu s’y prêtait, avec ses méandres, son architecture labyrinthique et souterraine. Toutes les salles gravitent autour d’un comptoir de bar recouvert d’un métal doré réfléchissant. J’ai laissé des éléments d’origine, comme les structures métalliques du début du xxe siècle, de l’époque d’Eiffel, et l’on voit par exemple un bloc de pierre blanche surgir du sol et soutenir les murs.

Le côté à la fois contemporain et « organique » de cet endroit semble vous tenir à coeur…

Oui ! Le plafond et les murs sont constellés de carrés de bois brut recouverts de feuilles d’or qui s’imbriquent. La salle du fumoir est une sorte de forêt fantasmée avec des colonnes ondoyantes ivoire et des sièges flottants noirs… Les couleurs et les formes sont influencées par l’Art déco et le primitivisme.

Le mobilier est aussi très fifties.

Je suis un fan des années 1950, de ces meubles chromés des films de série B ou de science-fiction de l’époque. Pour les canapés, je cherchais le confort, mais je ne voulais pas que l’on soit vautré dans un siège ! J’ai donc créé une assise qui soutienne et induise un état d’éveil.

Vous aurez plusieurs cartes blanches…

Cela m’amuse d’imaginer des événements qui se produiront dans chaque salle en même temps. Cela implique une notion de choix pénible mais nécessaire. Et celle du décloisonnement, du dépassement de la méfiance vis-à-vis de l’inconnu.

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http://silencio-club.com/

[Photos via The Guardian et L’Express]

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