Jérôme Zonder | Les Enfants du Paradis

« Entrez ! La vérité est ici. Entrez et quand vous l’aurez vue, vous y penserez le jour, vous en rêverez la nuit. Entrez ! », alpague le bateleur, sur le boulevard du Crime devant son théâtre de forain, dans le film « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné. L’œuvre mythique, dialoguée par Jacques Prévert, est l’arrière-pays de l’exposition que Jérôme Zonder crée cet automne à la galerie Eva Hober, à Paris. Sorti en 1945, avant la fin de la guerre, le long-métrage est une vertigineuse course-poursuite entre fiction et réalité, entre la vie et la scène. Un mouvement que Jérôme Zonder amplifie par quatorze dessins grand format où l’intensité du trait interroge les ressorts de la violence ainsi que ses crispations dans les destins individuels et l’histoire collective.

C’est désormais sur la scène contemporaine que se déroulent les vies de Garance et Jean-Baptiste, les amoureux des « Enfants du paradis », et celle de Lacenaire (prénom : Pierre-François), l’écrivain public et metteur en actes de scènes criminelles. Les dessins de Jérôme Zonder sont autant d’arrêts sur image du film que réalisent nos vies quotidiennes où « le mondial et l’intime s’entredévorent ». La violence du monde s’immisce tranquillement au cœur de la chambre des enfants. Elle entre par la petite porte, une lucarne, celle de l’écran d’ordinateur et y déverse ses flots d’images de tous acabits. Tangibles ou virtuelles ? Difficile de discerner. La frontière entre réalité et fiction s’est dissoute à une vitesse fulgurante, pulvérisant dans son sillage corps et âmes. Instaurant une seule règle à laquelle se mesurer : la force. Dans l’exposition, le gris va crescendo jusqu’à la compacité du noir, matérialisant la montée de violence qui accompagne le brouillage des idéaux où, comme chacun sait, Che Guevara n’est plus qu’une icône de tee-shirt dupliquée à l’infini.

Les artistes de la Renaissance ont construit la perspective à partir du point de fuite de la scène théâtrale. Mais la scène n’est plus, le monde contemporain l’a incorporée. Un acte s’accomplit-il ? Déjà il devient une photographie de téléphone portable, un film de caméra-DV, une fiction adressée sur la toile au village planétaire où le global escamote le local. Jérôme Zonder y puise son univers graphique et se risque derrière le paravent des contes pour enfants où la violence se met à nu et s’emballe sans rencontrer de points de repère si ce n’est celui du game over.

En 1929, dans un livre majeur intitulé « Malaise dans la culture », Sigmund Freud écrivait :

« La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée à la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement. » Cette pulsion cherche à se libérer. Trouvera-t-elle les paroles et les idéaux où être circonscrites pour agir en phénoménale énergie de construction ? Les œuvres de Jérôme Zonder se placent au carrefour de notre regard et de notre responsabilité.


Texte d’Annabelle Gugnon

Jérôme Zonder, « Les Enfants du Paradis »

du 18 octobre au 30 novembre 2011

Galerie Eva Hober

35-37 rue Chapon 75003 Paris

Site : http://www.evahober.com/

All images © Jérôme Zonder / Courtesy of Galerie Eva Hober

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