Interview | Travis Louie

TravisLouie_11

© Travis Louie

Fanny Giniès : Pouvez-vous revenir pour nous, en quelques mots, sur votre parcours ?

Travis Louie : J’ai étudié au Pratt Institute, à Brooklyn (NY), où j’ai obtenu une Licence d’Arts Plastiques. Mon cursus de spécialité était l’illustration commerciale. Il m’a fallu trois ans, à cumuler des jobs alimentaires à temps partiel ou à temps plein, avant de pouvoir vivre entièrement de mon art.

J’ai commencé à exposer en galerie en 1990, ça a été une expérience éprouvante car l’économie connaissait une période de crise et plus personne n’achetait d’œuvres d’artistes émergents. J’ai persévéré et continué à peindre, en me disant que j’allais finir par trouver un réseau de vente viable pour mon travail. J’ai toujours poursuivi le rêve d’exposer en galerie et dans des musées et au bout de quelques années passées à faire de l’illustration commerciale, j’ai réussi à créer un petit marché pour mes œuvres personnelles ce qui m’a permis de n’accepter des travaux de commande que si j’en avais envie, et non par besoin.

Décrivez-nous votre processus créatif, du moment où l’idée de l’œuvre germe dans votre esprit jusqu’à la réalisation finale :

J’écris souvent de courtes descriptions de mes personnages pour les rendre “entiers” dans mon esprit avant de faire plusieurs dessins d’eux jusqu’à obtenir la version du personnage qui correspondra le mieux à cette description. Je fais ensuite un dessin définitif que je transfère sur le tableau.

Je préfère résoudre tous les problèmes liés à la composition d’ensemble avant même de commencer à peindre parce que la technique de glacis que j’utilise ne laisse pas de place à l’erreur. Je ne perds jamais de vue mon dessin de départ pour être sûr de garder la bonne direction. Mon but, en procédant de la sorte, est de ne pas commettre de « faux pas » pendant que je peins.

Quel sens donner aux portraits que vous peignez ?

Les portraits ont tellement de significations pour moi ! Parfois ils véhiculent un commentaire caché sur le racisme ou forment une tentative de représenter un personnage célèbre à ma façon. D’autres fois, il s’agit juste de peaufiner ma narration continue d’un monde imaginaire qui aurait pu exister quelque part entre l’époque victorienne et l’époque edwardienne. Je laisse mon imagination divaguer un peu quand j’écris la description de ces personnages. J’aime bien qu’ils aient une histoire personnelle. La plupart du temps, j’ai une idée très précise de qui sont les gens que je peins, l’endroit d’où ils viennent et de ce à quoi ressemble leur vie.

Parlez-nous de votre rapport à la culture populaire :

La culture pop est une chose curieuse. Les éléments qui la constituent existent tant que les gens qui les connaissent sont en vie, ou font l’effort d’en communiquer l’importance aux autres personnes. Cela peut être fugace. Par exemple, il y avait un artiste de vaudeville tellement célèbre dans les années 1920 et 1930 qu’il avait son propre ballon dans la parade de Thanksgiving de Macy’s, à New York. Il s’appelait Eddie Cantor. Si vous questionnez la plupart des new yorkais aujourd’hui, ils n’auront aucune idée de qui il s’agit !

J’ai toujours aimé les vieux films d’horreur et de science-fiction que je regardais étant enfant, mais je me suis toujours demandé quel pouvait être le quotidien de ces drôles de personnages en dehors du film. Donc je peins les portraits de ces personnages pour témoigner de leur existence, comme le font les gens normaux qui commandent leur portrait.

A un moment, dans Nosteratu de F.W. Murnau (1922), on voit le Comte Orlok portant un énorme chapeau qui cache son crâne chauve et ses oreilles… Je l’imagine voyager comme ça, puis je me dis que s’il n’avait pas son château et sa fortune, il serait obligé de trouver un emploi. Peut-

être qu’il irait au travail habillé comme ça. C’est ce genre de pensées qui m’habite quand je crée mes personnages.

ExpoHEYPartII_17

Décrivez-nous quelques unes de vos œuvres récentes (cf. les deux premières œuvres en partant de la gauche ci-dessus) :

The Night People représente une famille qui vivrait un peu en dehors de la ville. J’étais sur un marché dans le Queens, en train d’attendre mon tour chez le boucher, quand j’ai remarqué un homme étrange qui portrait de très vieux vêtements (probablement des années 1920). Il avait une drôle de mine et d’étranges taches de vieillesse partout sur le visage. Il était assez émacié et discutait du prix, selon lui trop élevé, de la charcuterie… au moment où il s’est emporté, il s’est soudain rendu compte qu’il était dans un lieu public et qu’il attirait trop d’attention sur lui-même. Il s’est retourné et m’a regardé en essayant d’avoir l’air gentil. Mais il avait un air particulièrement morbide. Ses vêtements étaient tellement anciens, on aurait dit qu’il venait de sortir de sa tombe avec les vêtements dans lesquels il avait été enterré. Donc je me suis imaginé qu’il devait vivre dans une maison en dehors de la ville, avec sa famille de « vampires ». Mon tableau est un portrait de cette famille, réunie lors d’une soirée dominicale typique.

The Ultimate Insomniac est le portrait d’un homme qui n’a pas dormi depuis des années. Le jour où il réussit finalement à s’endormir, il tombe inconscient pendant de nouvelles longues années. Il a donc si peur de s’endormir et passer à côté de la vie qu’il se maintient éveillé depuis des décennies en prenant une potion magique. L’un des effets indésirables du remède est cette fumée qui lui sort des oreilles et des orbites.

Propos recueillis en janvier 2013

All images : © Travis Louie

+

http://www.travislouie.com/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.