Les frères Quay

Imaginez un mélange improbable des univers de Tod Browning, Ingmar Bergman, Serguei Paradjanov, Alain Resnais, Walerian Borowczyk. Secouez violemment et vous obtenez le travail onirico-maniaco-étrange des frères Quay, deux jumeaux génies de l’animation et maîtres des automates animés, qui ne ressemble au final qu’à lui-même. Ces deux affreux zozos semblent sortir d’un film de Cronenberg et bricolent avec la discrétion qui les caractérise des courts-métrages très bizarres qui ne répondent pas aux normes usuelles. Aujourd’hui, même s’ils ne possèdent pas les moyens idoines pour expérimenter comme ils le souhaiteraient, les Quay bros (comme on aime à les appeler) sont devenus les maîtres incontestables de l’expérimental strange et constituent une source d’inspiration considérable pour toute une génération de jeunes artistes spécialisés dans l’animation. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, la découverte de ce monde ésotérique, fait de bric, de broc et d’abracadabra, provoque la même réaction que celle de voir Eraserhead, de David Lynch, pour la première fois. Mais les frères Quay ne sont pas nés d’hier. Leur travail d’une lente et silencieuse Métamorphose entre exploitation de volumes et utilisation des marionnettes s’est déroulé sur près de trente ans de recherches formelles.

Mieux vaut connaître la fameuse anecdote qui suit les frères Quay avant de plonger dans leur univers ensorceleur. La légende veut, en effet, que sur la rampe de l’escalier qui mène à leur studio (Koninck Studios), une voisine visiblement effrayée par la ressemblance confondante entre les deux frères ait gravé «evil twins» (jumeaux maléfiques). Avant de faire peur à leur entourage, les frères Quay, nés en Pennsylvanie à Norristown en 1947, souffrant d’un étrange mal-être identitaire qui les oblige à brasser différentes nationalités pour expliquer leurs travaux, ont construit cet étrange atelier dans un souci simple et noble: travailler comme des savants fous. Selon les témoignages, cette boutique des horreurs mécaniques ressemble à l’antre d’un alchimiste du Moyen Age. Les tables et les bibliothèques divisent l’endroit en un espace labyrinthique étriqué rempli d’une multitude d’objets: des marionnettes, des miroirs, des bouteilles vides, des appareils photos déglingués, des ouvrages reliés, de vieux membres et des ligaments, des vis et de la poussière. Avant de s’installer, les jumeaux ont commencé à s’intéresser au cinéma en étudiant les Beaux-arts de Philadelphie, émigré à Londres à la fin des années 70 et intégré le Royal College of Art. Là-bas ils ont réalisé leurs premiers films d’animation à base de marionnettes.

Intraduisible par des mots, leur univers qui provoque des tonnes de sensations déraisonnables dans le cerveau – un peu comme si on écoutait un morceau trip hop pendant des heures jusqu’à l’écoeurement – tient à la fois de la littérature, du cinéma et de la musique et repose sur un nombre incalculable de sources disparates. Peu étonnant que leur art polyvalent s’exprime sous différentes formes: il peut donner un relief inédit à la publicité, subvenir aux besoins d’un opéra ou servir des documentaires, notamment sur Stravinsky ou Kafka. Essentiellement sur des artistes qu’ils affectionnent. A l’abri des codes et des modes, les Quay ont crée une forme d’expression unique. Afin de se distinguer du tout-venant de l’animation sur celluloïds, ils ont par exemple opté pour l’animation image par image et misé sur la sensorialité en faisant ressentir les volumes et la texture des objets. Ainsi, leurs films se composent souvent comme une suite de tableaux expressionnistes où l’important n’est pas de comprendre ni même de chercher une forme de dramaturgie mais de ressentir la forme des objets. Article de Romain Le Vern (source)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.