Robert Desnos | J’ai tant rêvé de toi

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m’est chère?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps
Sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé
A toutes les apparences de la vie
Et de l’amour et toi, la seule
qui compte aujourd’hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
Et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu’a être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

Robert Desnos, in « Corps et biens », 1926

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I have dreamed of you so much

I have dreamed of you so much that you are no longer real.
Is there still time for me to reach your breathing body, to kiss your mouth and make
your dear voice come alive again?

I have dreamed of you so much that my arms, grown used to being crossed on my
chest as I hugged your shadow, would perhaps not bend to the shape of your body.
For faced with the real form of what has haunted me and governed me for so many
days and years, I would surely become a shadow.

O scales of feeling.

I have dreamed of you so much that surely there is no more time for me to wake up.
I sleep on my feet prey to all the forms of life and love, and you, the only one who
counts for me today, I can no more touch your face and lips than touch the lips and
face of some passerby.

I have dreamed of you so much, have walked so much, talked so much, slept so much
with your phantom, that perhaps the only thing left for me is to become a phantom
among phantoms, a shadow a hundred times more shadow than the shadow the
moves and goes on moving, brightly, over the sundial of your life.

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Il existe une version chantée du poème de Desnos, intitulée « The Last poem » et interprétée par Sophie Auster :

There is a sung version of Desnos’ poem, titled « The Last Poem » interpreted by Sophie Auster :

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