Interview | Joe Coleman

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Portrait de Joe Coleman
Musée de la Halle Saint-Pierre, janvier 2013
© Javel / Roughdreams.fr

Paris, Janvier 2013

Fanny Giniès : Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours ?

Joe Coleman : Je suis un artiste autodidacte. Dans ma plus tendre enfance, je dessinais les images des saints de mon église. Ma mère m’avait donné un bloc de papier, des stylos et des crayons de couleur et je regardais les stations du chemin de croix et les passions du Christ et je les dessinais. J’utilisais les stylos et un seul des crayons de couleur : le rouge, pour figurer le sang.

Quand vous êtes-vous rendu compte que vous étiez doué pour l’art ?

Lorsque j’avais 8 ou 9 ans, j’ai fait une peinture représentant une poubelle qui a été sélectionnée pour une exposition d’art enfantin dans ma ville.  La femme du Président Lyndon Johnson, qui dirigeait le pays à l’époque, faisait le tour des écoles du pays pour promouvoir une campagne anti-déchets. Elle a vu cette peinture de poubelle que j’avais faite et l’a achetée pour sa collection d’art enfantin. Elle a été la première à me collectionner.

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Au vu du nombre incroyable de détails qui fourmillent dans vos œuvres, je présume que vous devez mener des recherches approfondies sur chacun de vos sujets. Comment procédez-vous ?

Si je traite d’un sujet historique, je lis par exemple des livres dessus, des retranscriptions de procès. Si je peins une personne encore en vie, j’essaye de l’interviewer ou d’interviewer des proches. Je mène autant de recherches que quelqu’un qui écrirait un livre monographique sur un sujet, par exemple.

Comment choisissez-vous les gens dont vous faites le portrait ?

C’est instinctif ! Mon instinct me guide, la peinture me dicte ce qu’elle veut représenter. Et je ne fais aucun croquis, je commence généralement par un bord du tableau et je progresse centimètre par centimètre. Je travaille chaque jour sur une surface d’environ 3 cm² avec un pinceau à deux poils et des lunettes-loupe de bijoutier. Je ne sais pas à l’avance à quoi ressemblera de tableau final. J’ajoute continuellement de nouveaux petits morceaux et je sais que j’ai complété ma tâche quand il ne reste plus aucun espace à remplir.

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Qu’est-ce qui vous pousse à vous représenter vous-même ? Vous avez crée de nombreux autoportraits…

Mes œuvres sont toutes des autoportraits, d’une certaine manière. Même si ça n’est pas moi qui suis représenté, je cherche à peindre des choses qui me concernent et auxquelles je peux m’identifier. L’autoportrait est un moyen sûr de sortir des choses de moi-même. Je suis probablement plus attiré par les autoportraits que le reste parce qu’il n’y a que moi-même que je connaisse vraiment. Par exemple, je ne sais pas si vous existez, vous, en face de moi. Si je me coupe, cela va saigner et me faire mal. Si vous vous coupez, moi je ne ressentirai rien.

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Quelle importance revêt la pop culture pour vous ? Dans votre œuvre intitulée «As You Look into the Eye of the Cyclops, So the Eye of the Cyclops Looks into You» par exemple, on voit de nombreuses références aux dessins animés, au cinéma…

Oui, cette œuvre représente un écran de télévision. C’est un  autel dont je fais l’offrande au dieu de la télévision qui est un dieu puissant et effrayant qui vous dicte quoi penser ou quoi manger. La télé ne laisse plus aucun répit. Quand j’étais petit, elle s’arrêtait de diffuser plusieurs heures par jour, il y avait un écran brouillé donc au moins ça s’arrêtait. Maintenant ça ne s’arrête plus, l’écran est sans cesse en marche et la télé nous commande. Elle nous fait encenser des gens comme Lance Armstrong avant de l’abattre le lendemain, c’est un dieu cruel et vicieux. C’est pour cette raison que je lui fais cette offrande. La culture populaire fait partie de l’expérience humaine, on ne peut pas y échapper.

Vous avez un jour déclaré peindre ce qui vous effraye le plus. Par quoi êtes-vous effrayé ces temps-ci ?

Mon dieu, c’est très difficile de répondre à cette question ! Je suis en train de peindre,  comme pendant à mon autoportrait « A Doorway to Joe », un tableau de la chose qui m’est la plus chère au monde : ma femme Whitney. Ce qui m’effraie là, maintenant, c’est de perdre cette personne si précieuse dans ma vie. Ça serait la chose la plus terrifiante.

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On peut lire sur la page d’accueil de votre site official une citation du célèbre criminel Charles Manson vous concernant. Comment Manson a-t-il eu connaissance de votre travail ?

Parce que j’ai correspondu avec lui ! Je lui ai envoyé un exemplaire de « The Mystery of Wolvering Woo-bait » qui est un roman graphique que j’ai fait il y a longtemps. Et sa réaction à la lecture de l’ouvrage a été de me qualifier d’ « homme des cavernes dans un vaisseau spatial. » (rires)

Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de votre Odditorium ? Quel genre d’objets collectionnez-vous ?

Je collectionne des objets provenant d’églises, comme des reliques de saints ; je collectionne aussi des objets provenant de musées de la médecine et de sideshows (fêtes foraines). Ces objets englobent tous les champs de la culture : le musée de la médecine représente la science, les restes de saints représentent la religion et les fêtes foraines l’exploitation. Dans tous ces endroits se concentrent l’essence-même de la Vie et de la Mort. Dans un musée de la médecine, vous allez trouver des exemples de syphilis ou autres pathologies terrifiantes et je possède ces objets. Tout comme je possède des reliques sacrées ou des armes ayant commis des crimes et évoquant d’horribles crimes. Tous ces objets ont une essence, un esprit qui communique avec nous.

Quel est la dernière pièce que vous ayez ajoutée à votre collection ?

L’objet le plus récent est la tête momifiée d’un soldat japonais qui a combattu à Iwo Jima, où mon père a aussi combattu. J’ai aussi ses plaques d’identité militaire et ses journaux intimes.

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Votre travail est souvent qualifié d’”outsider”. Vous sentez-vous foncièrement en marge du monde de l’art ?

On a qualifié mon travail d’outsider, de naïf, de lowbrow… J’ai l’impression que tous ces termes sont condescendants car au fond, il n’y a que de bons ou de mauvais artistes. C’est pourquoi je préfère me tenir à distance de toutes sortes d’étiquettes.

Est-ce important pour vous de voir votre travail reconnu en Europe, et plus particulièrement en France ?

Oui, c’est important. Je me sens chez moi ici, à Paris. La plupart de mes héros littéraires sont français : Céline, Georges Bataille, Le Marquis de Sade. Il y a ici tellement de choses qui sont importantes pour moi, et pour mon travail.

Photos : Fanny Giniès & Javel © Roughdreams.fr

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Les tableaux photographiés sont visibles jusqu’au 23 août 2013

dans le cadre de l’exposition HEY! modern art & pop culture / Part II

à la Halle Saint-Pierre
2, rue Ronsard
75018 Paris
M° Anvers (2) / Abbesses (12)

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Click HERE to download the english version of the interview

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http://www.joecoleman.com/

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