Studio Visit | Benjamin Lacombe

Après Liz McGrath, Gary Baseman, Eric White, Tara McPherson et Ciou, c’est au tour de Benjamin Lacombe de m’ouvrir les portes de son atelier. Benjamin est un artiste et ami avec qui j’ai eu la chance de collaborer sur divers projets depuis 2008. Si je suis de près toutes ses publications en tant qu’illustrateur, c’est toujours un plaisir de découvrir les œuvres plus personnelles qu’il crée pour les expositions auxquelles il participe en galerie. Ce mardi, Benjamin inaugure « Memories« , sa première véritable expo de peinture depuis plus de 2 ans. C’est donc dans le cadre de la préparation de cette exposition que je l’ai rencontré, épuisé par tout le travail fourni depuis des semaines mais aussi et avant tout heureux et impatient de faire découvrir ses dernières pièces au public. J’en ai profité pour lui poser quelques questions, auxquelles il a répondu volontiers sous l’œil attentif de son fidèle chien Virgile…

Tu inaugures dans quelques jours ta seconde exposition personnelle à la Galerie Daniel Maghen, quel type d’œuvres vas-tu présenter au public ?

C’est ma deuxième exposition personnelle chez Maghen mais c’est la première fois que je fais des pièces vraiment pour l’expo. C’est un show total pour lequel j’ai travaillé la mise en scène, l’encadrement, les pièces en elles-mêmes, tout. Ce ne sont pas des pièces issues de livres mais des pièces qui ont été pensées spécialement pour l’expo autour d’un thème commun.  Je vais aussi présenter des images issues de mes livres dans une deuxième pièce, séparée par un rideau. C’est marrant parce qu’on va vraiment voir la différence entre les peintures et les illustrations, les encadrements et la technique ne seront pas du tout pareils !

Cette exposition s’intitule « Memories », qu’évoque ce titre pour toi ? Pourquoi l’avoir choisi ?

Les « Memories » évoquent à la fois mes souvenirs et ces images qui ont permis à mon univers artistique de se construire. J’arrive à un moment de ma carrière où j’avais envie de comprendre pourquoi certains éléments reviennent de façon récurrente dans mon travail. Je me suis rendu compte que tout était lié à mes souvenirs du passé, à des images un peu traumatiques de mon enfance, des choses qu’on m’avait racontées ou que j’avais vécues et qui se répercutaient dans mon travail des années plus tard de manière complètement détournée. Donc je suis revenu à la source de ces choses-là et j’ai essayé de donner vie à ces images fondatrices.

Dans l’image du flyer, qui s’appelle « Douloureux souvenir », on voit bien qu’il y a quelque chose d’étrange: il y a ces fleurs et il y a ce visage d’enfant qui n’est pas un enfant Kinder en train de rigoler… C’est au départ un portrait de moi enfant que j’ai dessiné, mais beaucoup de gens y voient un portrait de petite fille. Je laisse le soin à chacun d’interpréter les images comme il veut. Je veux que chacun se fasse sa propre histoire.

Le travail fourni pour cette exposition n’est, j’imagine, pas le même que lorsque tu travailles sur un livre illustré, quelles sont les différences techniques et stylistiques ?

Il y a plein de différences. Là, je peins beaucoup plus à l’huile et je maroufle les œuvres sur du bois, ce que je ne fais absolument pas pour les livres. J’ai conçu les pièces en fonction des cadres que j’avais chinés, de leur forme, de leur teinte. Je voulais vraiment que l’expo n’ait rien à avoir avec mon travail d’illustrateur tant dans la façon dont je conçois les images et que dans la façon dont j’aurais réfléchi aux images en elles-mêmes.  Les œuvres de l’expo ne sont pas forcément narratives, elles ne se suivent pas les unes par rapport aux autres, elles se suffisent à elles-mêmes. Elles peuvent évoquer quelque chose au premier abord puis autre chose si on cherche un petit peu. Ce sont davantage des images symboliques.

Avec une œuvre comme « Le réveillon de saint Nicolas », on est complètement dans le symbole justement, non ?

Cette œuvre peut paraître mystérieuse mais finalement quand tu connais son histoire elle ne l’est pas tant que ça. Quand j’étais petit, je me battais sans cesse avec mes frères et sœurs et pour me faire arrêter ma mère me disais toujours combien elle aurait aimé avoir des frères et sœurs elle aussi. Elle était fille unique en Hongrie et elle me disait que les seuls amis qu’elle avait étaient une carpe, une oie et un poulet que la famille achetait pour la Saint Nicolas. Sauf que la veille du réveillon, on les tuait pour les cuisiner, bien sûr ! Elle me racontait comment le poulet courait encore après qu’on lui ait coupé la tête. Je t’assure que quand tu entends ça gamin, tu en rêves toutes les nuits après !

L’exposition t’a donné l’occasion de travailler sur des œuvres entièrement personnelles et non mises au service d’un texte. Est-ce que cela te tenait à cœur de te consacrer à autre chose que l’illustration ?

Oui, ça a toujours été un désir de peindre pour moi. J’avais déjà fait quelques pièces personnelles pour des expos collectives mais là c’est la première fois que j’ai vraiment pu créer un ensemble d’œuvres cohérent selon un axe de réflexion. C’est amusant de travailler comme ça parce que quand tu travailles sur un livre, les images doivent être bien compréhensibles pour que le lecteur suive l’histoire. Alors que là, on s’en fiche. Les œuvres peuvent être énigmatiques, chacun en fait ce qu’il veut.

J’aurais voulu produire encore plus, là je vais présenter une quinzaine de pièces plus cinq sculptures réalisées avec Julien Martinez. J’aurais aimé avoir plus de temps, ça a été très juste car comme toujours je suis à la bourre, j’ai plein d’idées, des milliards d’idées. Il y a plein de crobars qui n’aboutiront jamais mais en même temps c’est chouette d’avoir au moins réussi à faire ça.

Parle-nous justement de ta collaboration avec le sculpteur Julien Martinez. Quand avez-vous commencé à travailler ensemble ?

On a commencé à bosser ensemble il y a un an. Au départ je pensais juste lui soumettre un croquis pour qu’il fasse une sculpture mais je me suis rendu compte que comme il avait lui-même un style très marqué, c’était très difficile de faire mes volumes. Donc ça a été un vrai travail collaboratif avec beaucoup d’allers-retours où je corrigeais les visages, les proportions, etc, c’était très très long en fait. Pour chaque poupée il y a 50 ou 60h de travail au moins. Martinez est un artiste très méticuleux qui possède un énorme savoir-faire technique, je l’admire énormément et c’est génial qu’on ait vraiment réussi à travailler ensemble sur ces poupées. Ce sont vraiment des créations à deux.

Penses-tu un jour te tourner entièrement vers une carrière de peintre et arrêter complètement l’illustration ?

Non, pas du tout. Je n’ai pas du tout envie de me restreindre. Il y a plein d’autres choses que j’ai envie de faire ou de refaire, comme de la photo, de l’animation et des livres animés. Je trouve ça génial quand les artistes arrivent à dépasser les frontières. Goya a fait de l’illustration toute sa vie en plus de la peinture, Redon aussi. Picasso a fait de l’illu, de la peinture, de la sculpture, de la céramique, de la vaisselle, il ne s’est jamais limité. Dali s’est vendu, il a fait de la publicité, ce qui est considéré comme le pire du pire par le monde de l’art ! Moi, je suis autant touché quand quelqu’un me dit avoir aimé une de mes peintures qu’un de mes livres. Je n’ai pas envie de perdre ça, je trouverais ça trop bête vu que les deux me plaisent et qu’on veut bien me donner les moyens de le faire. D’un autre côté, on ne sait jamais de quoi la vie sera faite. Peut-être que dans 10 ou 20 ans j’aurais changé d’avis mais pour le moment je n’ai pas du tout envie de choisir.

Dans le cadre de l’expo, tu publies un magnifique catalogue en édition limitée. Que pourra-t-on découvrir à l’intérieur ?

On trouvera toutes les œuvres, toutes les esquisses préparatoires, des zooms, des détails, etc. On trouvera aussi quelques illustrations présentées dans la deuxième pièce, les sculptures et le vitrail qui ont été faits pour l’expo et des photos de l’expo.  Il y aura une interview dans laquelle j’expliquerai l’histoire de chaque œuvre. Mais comme il s’agit de choses très personnelles, que je n’avais pas envie de livrer sur la place publique, on fait une édition limitée à seulement 300 exemplaires.

L’ensemble de 139 pages sera présenté dans un coffret en tissus fait main avec de la broderie. Le livre en lui-même sera entièrement brodé avec un macaron collé dessus. Il y aura aussi un tiré à part dans une marie louise embossée. Chaque tirage sera signé et rehaussé à la main. Ce sera un objet très artisanal et vraiment unique.

Outre l’exposition, sur quels projets travailles-tu actuellement ?

Je travaille sur le catalogue de l’expo, qui paraîtra bientôt. Je travaille aussi sur un autre livre qui sortira au printemps et qui s’appellera Ondine. Il me reste 7 images à finir pour la deuxième partie de Notre Dame de Paris, plus la maquette. On va faire un coffret pour pouvoir réunir les deux tomes. Le livre aurait pesé 4,5 kg si on l’avait publié en un seul bloc. On s’est dit que c’était mieux de le diviser en deux si on ne voulait pas avoir d’accidents quand les libraires déballent les cartons ! Et on voulait surtout que les gens puissent le lire parce qu’un livre sert avant tout à être lu et pas seulement à faire joli dans une bibliothèque ! Sinon j’ai déjà des projets de livres pour noël 2012 mais c’est encore top secret ;) Quant à une éventuelle prochaine expo perso, ça ne sera pas pour tout de suite. Le jour où j’en referai une, j’essayerai de créer encore plus de pièces, de prendre encore plus de temps. Maintenant que j’ai compris comment il fallait faire, je devrais perdre moins de temps !

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Benjamin Lacombe – Memories

du 13 décembre au 14 janvier 2011

Galerie Daniel Maghen
47 quai des Grand Augustins
75006 Paris

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www.danielmaghen.com

http://www.benjaminlacombe.com/

Photos & Interview : Fanny Giniès © roughdreams.fr

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